Son sommet enneigé, son port majestueux, le respect qu’elle impose. Du haut de sa grandeur, la montagne nous regarde. Elle, symbole suisse par excellence, qui orne nos billets et nos cartes postales, qui incarne notre
identité. Depuis la plaine, nous la regardons.
À ses pieds, nos trains, nos géraniums et nos vaches. À ses pieds, nous sommes ; quand nous la refaisons en béton ou quand nous en tenons une miniature dans la main.
Dans cette série de photographies intitulée « Géométrie du Rocher », je me suis intéressée à la forme iconique de la représentation de la montagne. Entre idéalisation et matérialité, nature sauvage et architecture urbaine, camouflage et démonstration, j’ai voulu explorer nos manières de projeter notre imaginaire sur elle, ou de nous approprier sa présence en la recréant sous une forme artificielle.
Cette manière de (re)produire la montagne, que raconte-t-elle de nous, de notre imaginaire, de notre place dans le monde et de celle que nous voulons y occuper ? Pourquoi fabriquer des montagnes ? Exprime-t-on là notre besoin de fantasmer cette nature en la recréant ou en la façonnant, pour lui donner une forme moins inaccessible ? Nous renvoie-t-elle à notre volonté de contrôler de ce qui nous dépasse, en le plaçant dans des enclos, en empêchant son érosion, en l’enfermant dans des boules à neige ? Ou alors, est-ce là notre manière de conserver ce qui est, ou ce qui, peut-être, pourrait bientôt ne plus être ?
Recréer, reproduire, reconstruire, peut-être est-ce là une façon de conserver l’essence, comme si nous voulions rendre immuable ce qui nécessairement change. La montagne modèle, la montagne artificiellement reconstruite, en béton, en plastique, sur papier glacé, peut alors devenir ce simulacre d’une nature tenue à l’écart de nos atteintes, offrant sa puissance symbolique sous notre garde. La mise en scène des formes que nous donnons à cette essence devient alors le témoin de notre impuissance à empêcher le temps de s’écouler.
Avec ironie, avec tendresse aussi, j’ai cherché à poser un regard sur ces artifices, souvent touchants, toujours obstinés. Pourtant, tout cela n’est-il pas vide, comme ces montagnes de carton-pâte que je photographie ?
Delphine Burtin